A la Tribune de Genève, l’équipe des correcteurs a constitué une liste des cinquante fautes sur lesquelles ils tombent le plus souvent. Instructif. Utile. Drôle parfois. Par exemple quand les journalistes demandent: «Qui tient les rennes de l’économie?» Le père Noël?
Alejandro Sierra, 37 ans et d’origine espagnole, relit les pages du quotidien genevois depuis onze ans. Un métier qui requiert une solide culture générale, de la curiosité, une grande résistance au stress et une bonne capacité de concentration. Pourtant, même si chaque édition papier est entièrement revue avant parution, il subsistera toujours des coquilles. «Il n’y a pas de trucs pour éviter de laisser passer une erreur. Le risque, c’est d’être trop sûr de soi, il faut toujours vérifier quand on a un doute. Mais le plus important est de rester concentré. Or, sur toute une journée, c’est impossible.»
Les coups tordus de la langue française
Dans un quotidien, une relecture professionnelle est d’autant plus cruciale pour garantir des éditions de qualité et cohérentes, tant sur la forme que sur le fond, que les journalistes sont soumis à la rapidité de l’actualité. En outre, le français, compliqué et pavé de cas particuliers, se fait un malin plaisir à multiplier les pièges et les coups tordus. Or, dans la société en général, mais aussi dans la presse, la maîtrise de la langue de Molière semble avoir diminué. Est-ce une question de formation? Est-ce dû à la «génération SMS»? Ah, ces accords du participe passé! Ils torturent bien des plumes, qui le leur rendent bien! Quoi qu’il en soit, les correcteurs sont paradoxalement moins nombreux qu’auparavant dans les médias1. «La crise de la presse est passée par là, témoigne M. Sierra. Nous étions deux fois plus quand je suis arrivé à la Tribune.»
«L’Association romande des correcteurs d’imprimerie (Arci) comprend toujours plus de retraités et toujours moins d’actifs, témoigne à son tour son président, Olivier Bloesch, chef correcteur à 20 minutes. A une époque, certains décideurs ont faussement pensé que des outils comme le correcteur ProLexis suffisaient pour remplacer le personnel humain.»
La Tribune compte l’équivalent de 2,9 postes de correcteur. Le matin, une personne se charge des pages «froides» (des articles déjà prêts et qui ne concernent pas l’actualité immédiate), ainsi que du web. L’après-midi et jusqu’au bouclement, vers 23 h 30, tout le journal papier est relu. Un texte de 4000 caractères, sans trop d’erreurs, me prend cinq à dix minutes, je m’occupe peut-être de dix pages en une journée, estime M. Sierra. Une fois rédigés, les articles sont relus par les chefs de rubrique. Après validation, ils vont à la correction. Orthographe, grammaire, sens: tout cela est passé à la loupe.
«Les gens se vexent quand on écorche leur nom»
M. Sierra porte une attention particulière aux noms propres: «Les gens se vexent quand on écorche leur nom.» Si un changement risque de modifier le sens, il consulte le journaliste, en particulier s’il s’agit du titre. «Il y a parfois négociation», confie M. Sierra. «Je corrige sur écran, puis, si j’ai le temps, sur la morasse (dernière épreuve d’une page de journal, ndlr), mais c’est difficile lors du coup de feu, quand beaucoup d’articles arrivent en même temps. Je fais en revanche toujours particulièrement attention aux titres, légendes, chapeaux, folios et dates.»
A 20 minutes, où chaque soir deux personnes assurent le travail, la relecture est croisée. Une première est assurée sur écran, puis une deuxième sur la morasse par l’autre correcteur. Point commun à ces deux titres de Tamedia: le filet n’est pas assez serré concernant les éditions internet. «Mon collègue et moi travaillons sur le site web du journal une heure par jour depuis la maison, alors qu’il est alimenté de 6 h du matin à 23 h», informe M. Bloesch. A la Tribune, «il faudrait des effectifs beaucoup trop importants pour faire face au flux continu sur notre site, qui évolue en permanence, commente M. Sierra. Nous nous concentrons donc sur certaines rubriques.»
Brevet fédéral
Comment devient-on correcteur? Un cours par correspondance, sur deux ans, permet d’obtenir un brevet fédéral. Il est assuré par Viscom, la faîtière de l’industrie graphique suisse, et chapeauté par la Confédération. La plupart des experts font partie de l’Arci. «Les candidats reçoivent des devoirs et apprennent à chercher dans les livres de référence», explique M. Bloesch. A la base, les correcteurs de presse étaient des typographes qui avaient des aptitudes particulières en français, poursuit-il. Aujourd’hui, ce métier continue à s’apprendre «sur le tas».
M. Sierra, par exemple, ne s’y destinait pas. «Je faisais des études d’histoire en lettres et on m’a sollicité pour un remplacement de deux semaines à la Tribune, c’est comme cela que j’ai commencé.» L’étudiant a donc perfectionné sa maîtrise du français au gré de ses voyages dans le Grevisse, le Larousse, le Petit Robert, le Lexique des noms de rues de Genève ou encore le Guide du typographe, qui uniformise les règles typographiques en Suisse romande.
Le style journalistique, un langage «surprenant»
Le correcteur, travailleur de l’ombre, se voyait à l’époque plutôt journaliste et il n’exclut d’ailleurs pas de bifurquer un jour dans cette voie. Pourtant, vu de l’intérieur, le métier de ses collègues, «qui exige une énorme implication et beaucoup d’heures de travail», lui semble aujourd’hui moins glamour. Ses propres horaires, flexibles et souvent tardifs, ne gênent pas trop ce célibataire sans enfants. Mais pour une vie de famille, on fait mieux.
Que pense-t-il du style journalistique? «Avec ma formation classique, ce langage m’avait surpris», se souvient M. Sierra. Mais il s’est vite habitué à ces journalistes commençant leurs phrases par «mais». Et les débutant par «et». L’avez-vous remarquée? «Débuter est un verbe intransitif, on ne peut pas débuter quelque chose, mais quelque chose débute», vérifie-t-on dans le Top 50 des correcteurs de la Tribune. Une erreur de débutant.
Source: http://www.lecourrier.ch/141507/correcteurs_de_presse_dans_l_ombre_des_projecteurs